Étire-toi, la Vie est lasse à ton côté
— Qu’elle dorme de l’aube au soir,
Belle, lasse
Qu’elle dorme —
Toi, lève-toi : le rêve appelle et passe
Dans l’ombre énorme ;
Et, si tu tardes à croire,
Je ne sais quel guide il te pourra rester
— Le rêve appelle et passe,
Vers la divinité.
Laisse, ne prends qu’un viatique,
Et, de tout cet amour qui double chaque pas,
Ne prends que le désir, et va ;
Dépêche-toi :
Le rêve appelle et passe,
Passe — et n’appelle qu’une fois.
Marche dans l’ombre, cours !
Est-il un abîme que tu craignes ?
Ô hâte-toi !... il est trop tard :
La belle Vie en son sommeil d’amour
Étend ses doux bras qui t’étreignent
— Trop tard ; le rêve appelle et passe,
Appelle en vain,
Passe et dédaigne...
Alors,
Étreins la Vie, encore, de baisers lasse,
Engendre d’elle un art ;
Si tu ne fus vers Dieu, à l’infini,
Selon le rêve muet et qui prie,
Retourne-toi, étreins la belle Vie ;
Immortalise en elle ta seule heure :
De ta douleur de mort et de sa joie
Procréant quelque Verbe harmonieux
Qui te survive et rie et pleure
Quand le printemps verdoie
Au bois joyeux
Du jeune leurre d’amour qu’il faut redire ;
Et chante dans la clarté de son sourire...
Vielé-Griffin, Francis, « Étire-toi, la Vie… », La clarté de la vie, dans Poèmes, Paris, Mercure de France, 1983 [1897].